Chapitres offerts
Merci pour ton intérêt !
Tu trouveras ci-dessous les trois premiers chapitres de ma duologie d’urban fantasy, Moon & Waves, qui raconte l’histoire d’une louve-garou et d’une sirène – un duo improbable. Ajoutons-y une sorcière, un loup-garou sexy et sarcastique, un artefact volé et une secte de sorciers maléfiques et…
Mais je te laisse lire ça tout de suite !
Bonne lecture !
Chapitre 1 – Snow
Je m’appelle Snow. Non, ce n’est pas un surnom ou un diminutif, c’est bien mon prénom. Une idée saugrenue de ma mère, parce que ma louve est blanche. Enfin, une de mes louves, mais ça, on y reviendra. Idée d’autant plus saugrenue, vu mon nom de famille.
Moon.
Non, mais, sérieux, Snow Moon, quoi, c’est complètement absurde ! Ah, ça, les moqueries à l’école, j’y ai eu droit, mais heureusement, je ne suis pas du genre à me laisser faire. Un sacré caractère, dira ma meilleure amie. Une vraie teigne, pour les personnes qui ne m’apprécient pas.
D’ailleurs, à cet instant très précis, je fais face à une de ces personnes qui ne m’aiment pas. Du tout, du tout. Tout ça parce que je lui ai piqué quelque chose. Oh, trois fois rien… juste sa dignité, quand je l’ai envoyé se vautrer au sol lors de son attaque « surprise ». De gros guillemets bien épais autour du mot, parce que beugler en se ruant sur quelqu’un élimine toute confusion quant aux intentions belliqueuses.
Il fait sombre, nous sommes dans une ruelle à la charmante odeur de pisse. Vraiment, parfait pour une attaque, dix sur dix dans le manuel du bon petit assaillant. Sauf que la victime, elle ne compte pas se laisser faire. Un lampadaire grésille, dispensant de la lumière par intermittence.
Il s’est relevé du bitume, a manqué de se vautrer de nouveau à cause d’un pavé descellé, a crié quelques in-sultes en postillonnant – merci pour le partage des mi-crobes – et s’avance à présent vers moi avec une expression menaçante. Je lui adresse un sourire que j’espère enchanteur, mais qui semble exacerber sa colère. Ses mains tendues en direction de mon cou se rapprochent dangereusement. Du tranchant de la main, j’assène un grand coup sur ses poignets, puis bondis sur le côté. Il crie, et je sens son haleine au hareng :
— Je vais te défoncer, espèce de salope !
— Tu ne ménages pas tes efforts pour y parvenir, en tout cas.
Ses yeux se plissent d’incrédulité et il bredouille :
— Tu… c’est, je…
Crac.
C’est le bruit que fait son nez lorsqu’il rencontre mon poing fermé.
Ses mains volent à son visage tandis que son hurle-ment me fait lever les yeux au ciel. Tout ce boucan pour un bête petit os fracturé, comme quoi, son allure de gros dur ne laissait pas présager une telle nature délicate. Le sang coule entre ses doigts, maculant ses vêtements. L’odeur ferrugineuse atteint mes narines, qui frémissent. J’en retrousse presque les lèvres, mais me retiens. Comme je m’approche de lui, il recule avec un couinement délicieusement ridicule. J’ai presque envie de lui dire que personne ne viendra à son secours, puisqu’il a choisi de m’agresser dans une partie de Glendale où les gens se fichent éperdument de leur prochain.
— Cesse de chouiner, je ne compte pas t’achever. Où est planqué Teal ?
— Qui ça ?
Son étonnement ne semble pas feint. Je précise :
— Rodolphe. Ce n’est pas lui qui t’a envoyé ?
Mais je n’ai pas besoin d’écouter sa réponse pour le savoir : non, bien sûr que non, ce gros nigaud n’a pas été mandaté par Rodolphe Teal, car ce dernier embauche des gens compétents. Qui est-il, alors ?
Je lui pose la question :
— Pourquoi me suivais-tu ?
Il hausse les épaules et je comprends que moi ou une autre, ça n’aurait rien changé : ce n’est qu’un malfrat humain. Qui ignore tout du monde paranormal, qui ignore que les surnats existent, qui croise des métas, des sorcières sans même s’en rendre compte. Un humain avec lequel je perds mon temps.
Je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule, inutile de rester là. Prudente, je pique un sprint pour quitter le quartier et retrouve ma voiture, une petite citadine qui passe inaperçue – c’est préférable, pour mon métier. Moteur allumé, et je parcours les quelques kilomètres qui me séparent de mon domicile.
Une fois ma voiture garée dans le sous-sol, je pousse la porte de mon appartement. Ma meilleure amie ne comprend pas pourquoi je n’ai pas acheté une énorme maison, avec mon héritage. C’est pourtant simple : je n’en voyais pas l’intérêt. La taille de mon appart me convient, il y a même une deuxième chambre dans laquelle Poppy dort parfois, et qui me sert aussi de bureau. Elle y a beaucoup dormi, les premiers mois après mon emménagement, pour mieux me soutenir. Pour me surveiller, aussi, afin d’éviter que je ne replonge. Je l’ai acheté quand je n’ai plus supporté de vivre dans celui que je partageais avec Madden, il y a environ un an.
Sans allumer, je vais directement à la fenêtre qui donne sur le tout petit balcon, et inspecte la rue. Rien de suspect. Je ne pense de toute façon pas avoir été suivie, mais il est préférable d’être prudente. Une fois les stores descendus, j’allume la lampe à côté de la télévision – j’ai toujours préféré les lumières d’ambiance.
Avant d’emménager, j’ai fait appel à une décoratrice d’intérieur, une ancienne collègue, et elle s’est occupée de tout. Je ne voulais rien décider, rien choisir. Je n’ignore pas que Poppy lui a glissé quelques informations sur mes goûts, et qu’elle a accompagné la professionnelle lors des achats des meubles. Le résultat me correspond, tout en étant différent de ce que j’avais connu précédemment. C’était volontaire, bien sûr.
De mon ancienne vie, de Madden, je n’ai voulu garder que quelques éléments. Tout conserver aurait été trop dur. Alors il y a des petites touches de lui dans chaque pièce.
La couverture à rayures sur mon lit.
La peinture au-dessus de la commode dans le séjour.
La collection de dessins idiots encadrés dans les toilettes.
Le siège rouge dans la chambre-bureau, et surtout, surtout, sa guitare, posée contre le côté du meuble en bois clair. Sa guitare dont il prenait le plus grand soin.
Parfois, je m’assieds dans le fauteuil rouge, la guitare sur mes genoux. Je n’en joue pas, je ne suis pas musicienne comme il l’était. J’en caresse les courbes, glisse le long des cordes, ferme les yeux. Cet instrument le représente et je me sens proche de lui. Ça n’a pas été le cas au début. Les premiers mois, la simple vue de cette guitare me révulsait. Pour autant, je n’ai jamais songé à m’en débarrasser.
Machinalement, je me lave les mains dans la cuisine, les yeux fixés sur les armoires vert anis, encore ébahie de m’être habituée si vite à cette couleur. Le reste de l’appartement est bien plus sobre : des murs taupe pour le salon, ainsi que le mur accent de ma chambre, et blancs partout ailleurs.
Je devrais dormir, mais mon cerveau m’en empêche, toujours à la recherche de pistes pouvant mener à Teal. Cet empaffé s’est barré avec l’artefact que j’ai localisé pour le compte de mon client et se planque depuis. Je croyais pouvoir lui faire confiance, après tout, il a une bonne réputation. Je me suis trompée. Ça n’arrivera plus.
Après encore deux heures de réflexion ponctuées de bâillements, je me douche et vais m’écrouler sur mon lit. À tâtons, j’attrape la couverture pliée au pied du lit, du côté de Madden. Je la respire, longuement. Elle porte encore son odeur, même si elle est de plus en plus faible chaque jour. Mon chagrin aussi a diminué d’intensité, ce que je pensais impossible il y a trois ans, deux ans et même encore l’année passée.
Je commence à guérir.
Il paraît que c’est bien.
Alors pourquoi ai-je tellement l’impression de le trahir ?
Chapitre 2 – Snow
Trois ans plus tôt
Madden se tourne vers moi, et me gratifie d’un de ces sourires dont il a le secret. Un coin de sa bouche se soulève plus que l’autre, ses yeux rient et moi je fonds. Toujours. Même pendant une dispute, et je le maudis pour ça.
Je lui rends son sourire en refermant la porte de la penderie. C’était notre premier achat ensemble, juste avant d’emménager dans notre petit nid d’amour. « Petit nid d’amour », j’ai du mal à croire que j’utilise des expressions pareilles, la passion rend vraiment gniangnian.
— Tu es prête ?
Je virevolte devant lui et esquisse un petit salut en soulevant les pans de ma robe.
— Mmh, à toi de me dire ?
— On dirait bien, avance-t-il avec prudence.
— C’est tout ce que tu trouves à dire ? Pas même un compliment sur le fait que cette robe fait ressortir le vert de mes yeux ? Tss, je vais devoir me trouver un nouveau mec, moi !
Il rit.
— Tu es éblouissante, comme toujours. Et tu sens si bon que ça en est enivrant !
Madden, l’homme qui a réussi l’exploit de me débarrasser de mes complexes. Grâce à lui, j’ai appris à aimer mon teint si pâle, mes cheveux roux, qu’autrefois je nouais en chignon et camouflais sous une casquette et qu’à présent je laisse libres sur mes épaules. Grâce à lui, je me trouve jolie. Pas tout le temps, certes, mais c’est un net progrès par rapport au temps où je détestais le reflet dans le miroir.
— Où est-ce que tu m’emmènes ?
Je tente de dissimuler ma curiosité, en vain. Il sait que je n’aime pas les surprises, pourtant il refuse de me révéler où nous allons pour fêter nos cinq ans.
Il sort de la chambre avec une expression mystérieuse sur le visage, je le suis et, tandis que j’attache mes sandales dans le hall d’entrée, il déclare :
— Bon, comme tu ne m’as pas harcelé de questions, je peux te donner un indice. Théâtre.
Théâtre ?
— Ce n’est pas un indice, ça ! On va aller voir une pièce ? On ne fait jamais ça, je…
— Oui.
— Oui quoi ?
— On va assister à une pièce.
— Ah.
Ça ne nous est jamais arrivé, et je me demande bien quelle pièce symbolise nos cinq ans de relation.
— Cache ta joie, flocon !
Je lui balance mon poing fermé sur le biceps, avec un petit rire. La première fois qu’il m’a appelée flocon, il a ajouté « parce que, clairement, tu es unique ».
— Je te suis, alors !
Dans la voiture, il conduit en regardant droit devant lui, un sourire en coin étirant ses lèvres. Lorsqu’il la gare, je réalise que nous sommes devant un bâtiment anonyme, de briques rouges, avec de larges fenêtres qui n’ont pas été nettoyées depuis un moment, et certainement pas un théâtre. Avec une mine de conspirateur, il me fait signe de le suivre. Je saisis sa main sans rien demander, tandis qu’il ouvre une porte métallique. Elle grince alors qu’il la referme avec précaution. Nous arrivons dans une petite salle de spectacle, dont la scène est plongée dans le noir. Mes yeux de louve perçoivent des formes immobiles, là-bas, dans l’obscurité. Une odeur de poussière remonte vers mon nez, avec un léger relent de transpiration, mais rien de gênant.
Nous descendons les marches, Madden me mène jusqu’au premier rang et nous nous asseyons sur des sièges dont le tissu foncé a vécu. Une représentation privée, si je comprends bien.
Un spot lumineux, braqué sur la scène, s’allume soudain.
Je vois deux personnes, une jeune femme rousse, et un jeune homme aux cheveux châtain, sur le sol en lattes de bois. Le décor est composé de voilages beiges et scintillants, tout en simplicité. Je me tourne vers Madden en chuchotant :
— Je… c’est nous ?
Avec un large sourire, il opine. Je reporte mon attention sur les deux personnes qui se sont mises en mouvement. La fille porte un short kaki et un débardeur moutarde, à lacets, et je me souviens, dans un flash, que c’est la tenue que je portais lors de ma première rencontre avec Madden. Cette première rencontre magique, dans un parc, devant la fontaine. Immédiatement, il a su, pour ma nature de surnat et, quand je lui ai dit mon nom, il a arqué un sourcil et dit : « Moon ? Vraiment ? Tes ancêtres n’ont pas été chercher bien loin… » J’ai alors compris qu’il savait, et, mieux encore, qu’il était lui-même un loup-garou.
Il a été patient, n’a pas brûlé les étapes. Notre premier baiser a eu lieu après une longue attente, car il était parti à l’étranger quelques semaines, et nous communiquions par messages, et en visio. Ce soir-là, il est venu chez moi. Je l’ai attendu, l’excitation montant au fil des heures. Il a sonné à la porte. Fébrile, je lui ai ouvert, pour le découvrir, une bouteille de vin à la main. Il m’a lancé un regard si intense que j’en ai tremblé. Nul mot n’a eu besoin d’être prononcé, je savais. Il a fait un pas vers moi en même temps que je m’avançais vers lui, et l’instant d’après, j’étais dans ses bras. La tête penchée, il a posé ses lèvres sur les miennes, et j’ai fermé les yeux, éblouie par ce moment que j’avais tant désiré, tant attendu. Sa bouche était douce, son goût divin. Mes mains se sont perdues sur sa nuque, à la naissance de ses cheveux, il m’a soulevée de terre, mes sandales sont tombées au sol dans un bruit mat, auquel il n’a prêté aucune attention, tout entier consacré à notre baiser. Un moment gravé dans mes souvenirs, auquel je repense souvent.
Devant moi se jouent les moments clés de notre relation, en silence pour ne pas dévoiler trop de l’intime, comme des tableaux en suspens, avec une jolie musique, composée, je le devine, par Madden. Des notes élégantes, virevoltantes et romantiques. Entre chaque tableau, les lumières s’éteignent, et se rallument sur une scène différente.
Puis, je vois l’homme, un genou à terre devant l’actrice vêtue d’une robe verte, lui présentant un écrin de velours noir.
Je pivote pour découvrir Madden agenouillé devant moi, une petite boîte au creux de la main.
Les yeux écarquillés, la bouche en O, je le dévisage avec la conscience aiguë que j’ai l’air nouille. Intuition confirmée par son rire, puis il me dit :
— Bon, je sais que les grandes déclarations et toutes ces bêtises, tu n’en voulais pas, alors je ne vais rien demander, tu as compris où je voulais en venir. Hoche la tête si c’est oui.
Je hoche la tête vigoureusement, une douce chaleur au creux de l’estomac, bêtement ravie. Bêtement, c’est l’adverbe qui convient, t’avais même pas envie de te marier ! Vrai, mais je n’y étais pas opposée non plus. L’idée d’être unie à l’homme de ma vie, officiellement, n’est pas pour me déplaire. Ça fera taire les mauvaises langues qui estiment que je n’ai rien à faire avec lui, que je ne suis pas assez bien pour lui. Sans compter que tu es folle de lui, n’oublie pas le plus important. Évidemment.
Madden se relève et me tend la bague. Une pierre de lune – forcément –, sertie sans aucune fioriture, et un anneau tout fin. Exactement comme j’aime. Je la passe à mon doigt, elle me va parfaitement. Je la contemple quelques instants, puis enlace l’homme que je vais épouser. Il pose ses lèvres sur les miennes pour un baiser fougueux qui dure. Le goût de sa langue dans ma bouche me propulse dans notre petite bulle intime, où rien d’autre que lui, que sa peau, son odeur, n’existe. Quand, enfin, nous nous séparons, je peux reprendre mon souffle.
Il me demande :
— Je sais que les grandes cérémonies, ce n’est pas ce que tu préfères. Mais maman aimerait savoir si elle peut t’aider à organiser les préparatifs, elle a déjà plein d’idées. Elle ne t’imposera rien, bien sûr, mais ça lui ferait tellement plaisir…
— À moi aussi, rassure-toi.
Je suis sincère. Les parents de Madden m’ont accueillie dans leur famille sans jamais soulever mes origines modestes et j’en suis venue à les considérer comme des parents de substitution. Mon père était une tête brûlée qui s’est tué lors d’un saut en parachute – même un loup-garou ne peut pas se régénérer après une telle chute –, quelques mois après ma naissance, et ma mère avec laquelle je ne m’entends plus, m’a mise à la porte à mes vingt ans. Elle a imité en ça ses parents, qui n’étaient guère tendres avec elle. Et si j’en crois les histoires familiales, ça a toujours été compliqué. Je viens d’une longue lignée de métas dysfonctionnelle. Je n’ai plus eu de contact avec ma mère depuis qu’elle m’a jetée dehors. Peut-être qu’elle reviendra en découvrant que j’épouse l’héritier d’une grosse fortune.
Madden me prend la main, et m’emmène dans la pièce voisine, où une table pour deux est dressée, avec une nappe beige, des verres en cristal, des bougies et une ambiance romantique.
— Installe-toi, je reviens.
Il disparaît derrière une porte battante, j’entends quelques bruits de cuisine, et il revient en poussant un chariot. Il dispose nos assiettes fumantes puis remplit nos verres de vin. Le velouté de champignons est délicieux, tout comme la papillote de saumon et le sabayon, un menu concocté par le chef du restaurant tenu par le meilleur ami de Madden.
Lorsque nos papilles sont rassasiées, mon à présent fiancé me déclare :
— Es-tu encore d’attaque pour passer chez mes pa-rents, qui nous attendent avec le champagne ?
Pour être honnête, j’ai juste envie de rentrer et de faire l’amour, mais je me doute que la mère de Madden doit attendre en trépignant, aussi dis-je :
— Bien sûr, allons-y !
Le trajet est rapide, et j’en profite pour admirer ma bague. La pierre de lune capture parfois un éclat de lumière, et brille d’une jolie lueur bleutée. Elle est parfaite.
Nous arrivons au manoir des Holding, Madden ac-tionne un bouton à l’intérieur de sa voiture et les grilles s’écartent avec lenteur. Il roule sur l’allée de gravier, qui crisse sous les roues. C’est un son que j’apprécie, depuis aussi longtemps que je m’en souviens, mais je ne parviens pas à y associer de souvenir. Madden tourne, pour garer sa voiture sous un large arbre, sa place désignée.
Nous sortons du véhicule, j’avance en direction du manoir, une bâtisse imposante en vieilles pierres, nichée dans une enceinte protégeant un énorme jardin. J’y suis déjà allée à de nombreuses reprises, mais je ne suis pas entrée dans toutes les pièces, tant il y en a.
Les buissons encadrant l’allée sont taillés de façon impeccable, la façade est nettoyée tous les ans, les vitres toutes les semaines. Beaucoup de gens travaillent pour les Holding, tant à leur domicile qu’à l’entreprise familiale. Le père de Madden est le P.-D.G. de Holding Corporation, une société de nanotechnologie, qui brasse des millions.
Personne à part ses parents n’est là ce soir, il fait doux, la lune brille, le ciel est parsemé d’étoiles, une magnifique soirée.
Je gravis les marches menant à l’imposante porte en bois, aux volutes taillées, avec un heurtoir lustré que personne n’utilise jamais.
Madden m’attire à lui par la taille, tout en sonnant à la porte de la maison parentale. Il a sa propre clé, mais veut rendre l’instant particulier. Des pas se font entendre de l’autre côté, et le battant s’ouvre sur sa mère. D’emblée, elle nous gratifie d’un large sourire, tandis que Madden s’exclame :
— Elle a dit oui !
— Bien sûr que Snow a dit oui, voyons, réplique-t-elle avec un petit rire.
Elle nous fait entrer, appelle le père de Madden. Nous allons dans le petit séjour, qui est plus cosy que le grand, où ont lieu des réceptions. Oh, seulement les petites, les grandes se donnant dans la salle de bal, où la mère de Madden voudra probablement que la soirée de mariage se déroule. Malgré mon appréhension d’être confrontée à une flopée de monde, je n’y vois pas d’objection, la pièce est tout simplement magnifique. Parfois, j’ai le tournis rien qu’à penser à tout ce que la famille de mon fiancé possède.
Sur la table en acajou est posé un plateau avec des flûtes, signe évident que les parents de Madden n’avaient aucun doute sur ma réponse. Le père arrive en brandissant la bouteille de champagne, dont il fait sauter le bouchon sans plus attendre. Madden tend les verres qui se remplissent du précieux breuvage, m’en donne un, ainsi qu’à sa mère.
Nous trinquons, et Savannah veut voir ma bague. Elle a un léger pincement de lèvres en découvrant la simplicité du bijou – la sienne est si imposante qu’elle ne la porte qu’aux grandes occasions, ou en public –, mais n’émet aucune critique. Elle sait que le faste ne compte pas pour moi, et que je ne suis pas avec son fils pour l’argent. Bien sûr, il serait hypocrite de prétendre que ça n’a aucune importance, mais je l’aime réellement pour ce qu’il est. Ses parents le savent, car, au tout début de notre relation, j’ignorais totalement qui il était, il me l’a caché. Il en était venu à faire ça avec chaque nouvelle personne qu’il rencontrait, car trop de gens ont tenté de profiter de son statut, et il lui était ainsi plus facile de faire le tri entre les amitiés sincères et les sangsues uniquement intéressées par sa fortune.
Quand, spontanément je lui ai proposé mon aide financière alors qu’il me parlait d’un achat important, ça n’a fait que lui confirmer que mon amour pour lui est dénué d’intentions. J’étais tombée des nues lorsqu’il m’a avoué sa véritable identité, et j’étais aussi un peu vexée, je devais l’avouer. Mais j’ai compris le stratagème et étais soulagée, aussi : l’argent ne sera pas un problème. J’ai trop vu ma mère galérer financièrement pour que ça ne soit pas devenu un motif d’inquiétude. Bien sûr, je compte subvenir à mes besoins, mais savoir que je suis à l’abri en cas de pépin était appréciable.
Savannah ouvre une boîte de chocolats, qu’elle me présente avec un petit sourire – elle connaît mon péché mignon. J’en prends un et le déguste, tandis qu’elle me montre une pile de magazines consacrés au mariage. Je réprime une grimace, je ne vois aucun inconvénient à ce qu’elle participe aux préparatifs, mais je n’ai aucune envie d’y passer des heures et des heures, de feuilleter à n’en plus finir. Je désire une cérémonie simple et joyeuse, une robe simple et épurée. Je vais devoir puiser dans mes ressources de tact et diplomatie, ce qui se révélera sans doute problématique, car je n’en possède pas beaucoup.
D’un coup, je suis submergée par tout ce que ma future union avec Madden implique, et sens une boule d’angoisse se former au creux de mon ventre. Je pose la flûte sur le sous-verre prévu à cet effet, un sous-verre classe, et me lève en tâchant de ne rien montrer de mes émotions.
Je dois prendre l’air.
Maintenant.
— J’ai oublié quelque chose dans la voiture.
Madden se lève :
— Je vais aller le chercher.
— Non, je suis assez grande pour me débrouiller toute seule, mon amour, dis-je sur le seuil de la porte.
Je sors dans la nuit, et vois, ou crois voir, une ombre s’enfuir par le côté de la maison. Je cligne des yeux et elle disparaît. Sourcils froncés, je me hâte en direction de la voiture.
Tandis que j’ouvre la portière en réfléchissant à quel objet je vais devoir rapporter pour donner de la crédibilité à mon excuse, un grincement métallique attire mon attention. Je tourne la tête vers le portail, de plus en plus perplexe, car, de loin, il me paraît ouvert. Mais c’est impossible, il s’est fermé automatiquement après notre arrivée.
Prise d’un affreux pressentiment, je lève les yeux vers la fenêtre du petit salon, qui donne sur l’avant, et derrière laquelle se trouve mon homme souriant, à me faire un geste de la main.
C’est alors que la déflagration, assourdissante, retentit.
Chapitre 3 – Snow
Par réflexe, je me jette à terre, derrière la voiture, et un souffle d’air chaud m’encercle. Mes oreilles bourdonnent, de la poussière vole partout, et des débris s’écrasent dans le jardin, dans l’allée, sur les voitures, dont les alarmes se déclenchent, ajoutant à la cacophonie.
Je me redresse à quatre pattes, tousse, étourdie. Puis, prenant appui sur la voiture de Madden, dont les vitres ont explosé, je me mets debout.
Le spectacle qui m’attend me fait chanceler.
Du manoir des Holding jaillissent des flammes tourbillonnantes et une fumée noire, épaisse, crépitante d’étincelles. Des craquements sinistres parviennent à mes tympans douloureux, tandis que l’incendie prend de l’ampleur.
Là où se trouvait le petit salon cinq minutes aupara-vant ne figure plus qu’un trou enflammé.
Aucune trace de Madden ou ses parents.
Clignant des yeux, déglutissant avec difficulté, ma main couvrant ma bouche, je cherche mon téléphone. Bien sûr, je l’ai laissé à l’intérieur, bien sûr !
— Madden ! appelé-je d’une voix rauque.
Aucune réponse. À quoi tu t’attendais ?
Non. Non, non, non ! Il est là quelque part, et je dois le retrouver. Je dois faire vite, avant l’arrivée des secours, qui ont sûrement déjà été appelés. D’un geste vif, j’ôte ma robe, en grimaçant lorsque le tissu effleure les brûlures légères. Si le souffle de l’explosion t’a atteinte comme ça, imagine dans quel état il… Non, non, ne pense pas ça, fonce, vas-y, va le sauver !
Je cours en direction du manoir, ne prenant pas garde à la chaleur qui s’en dégage et à l’affreuse odeur de caoutchouc fondu, mute en gravissant les escaliers, et me précipite à l’intérieur. Une fournaise affolante m’accueille, mais je continue. Mes griffes cliquètent sur le marbre du hall alors que je m’efforce de retenir mon souffle. À l’intérieur, le rugissement de l’incendie est si intense que j’ai peur de devenir sourde. Je fonce vers le petit salon, contournant les meubles renversés, pour découvrir le corps de la mère de Madden. Du museau, je la pousse, elle est inerte.
Morte.
Je n’ai pas besoin de prendre son pouls pour le sa-voir.
Fébrile, je cherche du regard, à travers l’épaisse fumée qui obscurcit la pièce, Madden et son père. Je vois le cadavre de ce dernier, écroulé sur le canapé, le lustre enfoncé dans le crâne. Du sang et de la matière grise maculent le divan au tissu fleuri. Derrière lui, le buffet a été soufflé par l’explosion, son contenu déversé au sol. Dans les éclats de vaisselle se reflètent les flammes, comme autant d’incendies miniatures. Des photos accrochées aux murs, il ne reste que des visages déformés et grimaçants, en train de fondre.
Avec un grognement sourd, j’avance vers les flammes, sens la morsure de la chaleur, sens l’odeur de mon pelage roussi. Mais je continue, pas question de m’arrêter, je dois trouver Madden ! Peut-être que, contrairement à ses parents, il a eu le temps de se transformer, peut-être qu’il est là, quelque part, à lécher ses blessures, peut-être que…
Je me fige.
Il n’a pas eu le temps.
Son corps, sous forme humaine, est allongé, là. À quelques mètres de moi.
Dévoré par les flammes.
Ma langue pâteuse pèse une tonne dans ma bouche. Impossible de la bouger, même déglutir me demande un effort incommensurable. Je prends alors conscience qu’il y a quelque chose dans ma gorge, et la frayeur s’insinue en moi. Frayeur qui se mue en panique lorsque je réalise que je suis incapable de bouger mes mains pour retirer ce qui obstrue ma gorge, que je suis infoutue de bouger tout court, aucune partie de mon corps ne m’obéit.
Puis je perçois les bips et les sonneries, les sons de machines inconnues et infernales. Je veux pousser un long cri, mais seul un râle, plutôt un gargouillis, franchit mes lèvres.
Des pas se précipitent, des voix prononcent des mots que je ne comprends pas, tandis que j’essaie vainement de soulever les paupières. Je sens des larmes couler le long de mes tempes, et mourir dans mes oreilles.
— Snow ? Snow ! Tu es réveillée ? Snow, fais-moi un signe !
Dans tous ces bruits inconnus, enfin une voix familière : celle de Poppy.
Je mobilise toute mon énergie pour ouvrir les yeux et la découvre, penchée sur moi, de l’espoir et des larmes plein les yeux. Ses boucles brunes striées de rose sont complètement emmêlées, et elle paraît ne pas avoir dormi pendant des jours.
— Oh, Snow, tu es réveillée ! Ma chérie ! Tu m’as fait si peur !
Un grincement de roulettes atteint mes oreilles, des mains froides me palpent, Poppy disparaît de mon champ de vision, et c’est alors que je comprends que je suis dans un hôpital. La lumière crue de la pièce fait larmoyer mes yeux. Que s’est-il passé ? Ai-je eu un accident ? Je ne peux pas être ici, c’est trop risqué, le personnel médical va se rendre compte de ma condition ! À mesure que les couleurs se précisent, je me sens mieux et tente de me redresser, mais une poigne ferme me maintient contre le matelas, puis l’homme approche sa bouche de mon oreille pour murmurer :
— Ne vous inquiétez pas, vous êtes dans une cli-nique privée. Spécialisée.
Le dernier mot a été prononcé encore plus bas, pour que Poppy ne l’entende pas. Car ma meilleure amie ignore que je suis une surnat, elle ignore qu’un monde paranormal existe en parallèle à celui qu’elle connaît. Que les surntats forment un tout hétéroclite : métamorphes, sorcières, enchanteurs, fées, vampires, fantômes, toutes ces créatures et plus encore existent.
Rassurée de savoir que les examens médicaux ne dévoileront pas ma vraie nature à quiconque, je referme les yeux. Pour les rouvrir aussitôt, d’un seul coup glacée.
Madden.
J’essaie d’articuler son prénom, et une infirmière pose une main sur mon bras.
— Attendez, nous allons retirer la sonde.
D’un geste expert, elle la fait glisser hors de mon nez, ce qui ne m’empêche pas de ressentir de la douleur de l’estomac aux voies nasales. Heureusement que ma nature de louve me permet de guérir plus rapidement que les êtres humains.
Alors pourquoi est-ce qu’une perfusion est attachée à mon bras ? Quel est ce liquide injecté goutte à goutte en moi ? Le personnel médical s’affaire à mon chevet encore quelques minutes, vérifiant je ne sais quoi sur les écrans des machines, puis quitte la pièce, laissant Poppy s’asseoir sur la chaise à côté de moi. Elle se tord les mains, littéralement. Si me savoir réveillée ne l’enthousiasme pas plus que ça, c’est parce qu’elle a de mauvaises nouvelles à m’annoncer…
Je secoue la tête, je ne suis pas sûre d’avoir envie d’entendre ce qu’elle s’apprête à me dire.
Et là, les souvenirs m’assaillent.
Avec une telle force que je retombe sur les oreillers et pousse un cri guttural.
En pleurant, Poppy se jette sur moi pour me serrer dans ses bras.
— Je suis là, je suis là, je suis là, répète-t-elle inlassa-blement.
Je hoquète contre elle, sans parvenir à articuler une phrase cohérente, tentant de trouver du réconfort dans son odeur rassurante de muguet. Au bout d’une éternité de douleur, épuisée, je lâche d’une petite voix éraillée :
— Madden ?
Je la connais, la réponse, mais j’ai tout de même l’infime espoir qu’elle me répondra autre chose.
— Il… Je suis tellement désolée, Snow. On l’aimait tant !
Poppy s’est toujours bien entendue avec Madden, et leur complicité me faisait très plaisir.
Mâchoire tremblante, je me force à prendre une profonde inspiration avant de demander :
— Que… que s’est-il passé ? Je me souviens d’avoir… de l’avoir vu étendu dans le feu, et puis… plus rien, le noir absolu.
— Tu étais allongée, nue, brûlée, dans l’allée. Les pompiers ont dit que tu avais sans doute dû essayer d’entrer, ce qui est complètement délirant, Snow, tu aurais pu mourir !
J’ai donc réussi à sortir du brasier avant de sombrer, je ne m’en souviens tout simplement pas. Comment lui dire que c’était moins risqué pour moi que pour elle ? Je ne peux pas lui révéler mon secret. Même si je me rapproche du jour où il le faudra, pour sa propre sécurité.
— Je ne suis pas morte, dis-je pour la calmer. Com-bien de temps suis-je restée inconsciente ?
— Deux jours. Tu as été plongée dans un coma artificiel. Je ne sais pas ce qu’ils ont mis sur tes plaies, mais c’est super efficace, parce que je te jure, c’était vraiment moche et ça a guéri super vite.
Une infirmière entre et demande à mon amie de quitter la pièce. En rechignant, Poppy obtempère. Dès que le battant est refermé, j’attrape le bras de la femme et chuchote :
— C’est quoi cette histoire de coma ? Pourquoi avais-je une sonde ? Nous n’en avons pas besoin, pour nous régénérer !
Ou, en tout cas, pas avec des blessures mineures comme les miennes.
— Nous n’avons pas eu le choix : même incons-ciente, vous avez amorcé une transformation. Nous avons jugulé cela avec ceci, dit-elle en désignant la perfusion, pour vous empêcher de vous transformer. Cela n’aurait pas posé de problème en temps normal, sauf que votre amie était tout le temps présente. Elle n’est pas au courant, n’est-ce pas ?
Je secoue la tête.
— Non, elle ne l’est pas. Elle n’a pas quitté mon chevet ?
— Elle a dormi dans cette chaise.
J’esquisse un sourire, voilà qui explique la tête de déterrée de Poppy.
Tandis que l’infirmière s’occupe de panser mes brûlures, je regarde dans le vide, en empêchant mes pensées de retourner vers Madden. Je ne peux pas. Si je songe à lui, à quel point il me manque, je vais m’effondrer et ne plus jamais me relever. Aussi je la questionne d’une voix un peu détachée :
— Poppy a-t-elle vu ma louve ?
— Pas vraiment, non. Mais c’est elle qui a donné l’alerte, car vos jambes s’étaient recouvertes de fourrure. Nous l’avons éloignée et avons pu lui faire croire qu’il s’agissait de peau brûlée.
Je cille. Quelque chose ne colle pas.
— De peau brûlée ? répété-je. Foncée, donc ?
— Oui.
— Le pelage de ma louve est blanc.
Perplexe, elle me dévisage et dit avec lenteur :
— Il était gris, je peux vous l’assurer, j’étais là.
J’ouvre la bouche pour répondre, puis me tais. Elle me scrute, dans l’attente de ma réaction, comme si persister dans mon affirmation déclenchera un signal d’alerte qui me vaudra d’être internée. Je hoche la tête sans rien ajouter de plus. Elle quitte la chambre, me laissant à contempler le mur jaune citron face à moi. Puis j’examine la pièce : rectangulaire, petite, du linoléum craquelé au sol, un seul lit, au matelas surélevé. Les rares meubles – la chaise dans laquelle Poppy a dormi, une petite table de chevet à roulettes, une commode – sont disposés de manière fonctionnelle. Sur le mur en face du lit se trouve une petite télévision sur un pied pivotant, dont l’écran mériterait un coup de chiffon. Des fenêtres sur une vue d’immeubles, encadrées de rideaux verts. Une porte à gauche, donnant probablement sur la salle d’eau. Le plafonnier au-dessus de moi grésille, dispensant une lueur artificielle et désagréable. Aux murs sont affichées des pancartes avec, je crois le deviner, le règlement de la clinique et diverses informations.
Poppy surgit, me faisant sursauter.
— Pardon, je ne voulais pas te faire peur. As-tu be-soin de quelque chose ?
De savoir Madden en vie. Mais je garde cette réplique pour moi.
— Non, ça ira. Rentre chez toi, te reposer.
Même si je sais pouvoir compter sur le soutien de ma meilleure amie, j’ai besoin de solitude. Ça a toujours été ainsi : dans la douleur, je m’isole. D’autant que plus longtemps Poppy reste à la clinique, plus grands sont les risques qu’elle comprenne que les malades ne sont pas des êtres humains ordinaires.
— Je ne veux pas te laisser.
— Je suis en sécurité ici. Est-ce que… tu peux me donner plus de détails sur… ?
Ses paupières battent et une petite grimace tord son joli visage.
— Je…
— Poppy ! Ton chéri est flic, tu dois bien en savoir davantage !
Penaude, elle baisse la tête et se met à triturer ma couverture.
— C’est lui qui m’a appelée quand l’info est tombée. Lorsque je suis arrivée chez les parents de Madden, c’était… confus. Il y avait une équipe d’ambulanciers qui s’occupait de toi, mais d’autres ont pris la relève et t’ont emmenée ici. Visiblement, c’était quelque chose de prévu par les Holding, dans le cas où un accident arriverait. Je ne vois pas pourquoi il fallait absolument t’emmener dans cette clinique privée, mais bon…
Logique, la famille de Madden ne pouvait pas se permettre d’éveiller les soupçons. Personne ne devait connaître leur nature de surnats.
— C’était il y a deux jours. Qu’a donné l’enquête ?
J’essaie de rester factuelle, même si mes entrailles se tordent d’angoisse dans l’attente de la réponse. Je sais que tout sera accéléré grâce à la fortune des Holding, mais je ne m’attends pas à la réponse que me fait Poppy :
— C’était une explosion criminelle.
Interloquée, j’ouvre la bouche tandis qu’elle s’exclame :
— Pardon, je n’aurais pas dû te le dire, pas mainte-nant, c’était trop tôt, tu…
— Non ! Je veux savoir. Qui est responsable ?
— Je n’en sais pas plus, je n’étais pas censée être au courant, dit-elle d’un air coupable. Michael n’était pas censé me le dire.
Mes mains se crispent sur le drap rêche.
— D’accord, je comprends, je ne poserai pas de questions.
— Les flics vont vouloir t’interroger, d’ailleurs, dès que tu iras mieux.
— Je comprends, dis-je de nouveau.
— Tu… commence-t-elle avec une mine embarras-sée.
— Oui ?
— C’est délicat, mais… Les pompiers se deman-daient pourquoi tu étais nue, dans l’allée. La police te posera sûrement la question.
Après une profonde inspiration, destinée à me faire gagner du temps pour inventer une raison plausible, je réponds :
— Je ne voulais pas que ma robe crame ?
Elle écarquille les yeux.
— T’es pas sérieuse ?
— Tu n’as pas entendu mon point d’interrogation ? Je ne sais pas pourquoi j’étais déshabillée, je ne me souviens pas.
Je déteste mentir à ma meilleure amie. Le plus sou-vent, c’est par omission, et ça me facilite la tâche, mais quand il s’agit de vraiment travestir la vérité, ça me fait mal. J’ai intérêt à trouver une explication logique, et vite, car la police ne se satisfera pas d’un « je ne me souviens pas » et se mettra à bâtir des théories, alors que ce n’est pas dans cette direction qu’il faut chercher.
— Il y avait quelqu’un ! m’écrié-je alors, sans avoir réellement conscience que je prononçais les mots tout haut.
— Où ça ? Quand ?
— Qui s’enfuyait, juste avant l’explosion.
— Et, euh, c’est à cause de ça que tu étais nue ?
Pourquoi est-elle encore calée là-dessus ?
— Bien sûr que non ! Juste avant l’explosion, quand j’étais dehors, près de la voiture. J’ai cru que j’avais des hallucinations, mais ça devait… ça devait être le coupable !
Elle plaque une main contre sa bouche.
— Tu n’as pas reconnu qui c’était ?
— Bah non.
Un coup bref est frappé à la porte, et deux hommes entrent. Des flics. D’instinct, je sais qu’ils sont surnats, ce qui me rassure : ils se débrouilleront pour camoufler ce qui doit l’être. L’un d’eux demande à Poppy de sortir, qui s’insurge :
— Pourquoi je ne peux pas rester ? Elle n’a rien fait de mal, ce n’est pas un interrogatoire, que je sache !
L’homme ne répond rien, se contentant de la regarder avec une mine impassible, et mon amie finit par obtempérer, non sans ronchonner qu’elle reste derrière la porte et que je peux hurler si j’ai besoin d’aide. Je ricane doucement.
— Inspecteurs Callaway et Leadley, déclare le plus âgé.
Il doit bien avoir dans les cinquante ans, avec sa chevelure argentée aux tempes. Qu’est-il ? Métamorphe ? Sorcier ? Il sort un calepin de sa poche, avec un stylo, et entreprend de gratter le papier. Que peut-il écrire alors que la conversation n’a même pas commencé ? Des commentaires désobligeants sur mon physique ? Et d’abord, qui écrit encore sur du papier, de nos jours ?
L’autre, un petit jeunot aux cheveux auburn et un nez proéminent, s’empare de la chaise en disant :
— Permettez ?
J’imagine un instant la tête qu’il tirerait si je lui refusais sa demande qui n’en est pas une puisqu’il s’est déjà assis, et ne peux m’empêcher de sourire. Ce que le vieux ne loupe pas.
— Qu’est-ce qui vous amuse ?
— Rien.
Inutile de me les mettre à dos, ils sont là pour enquêter sur le décès de… C’est comme un coup de poing dans l’estomac de réaliser que, pendant quelques petites minutes, j’ai oublié que Madden est mort. Je me déteste instantanément pour ça.
— Bien, commençons. Vous avez été retrouvée inanimée, nue, à l’extérieur du manoir des Holding. Votre corps était brûlé à de multiples endroits. Où étiez-vous lors de l’explosion ?
Même pas « toutes mes condoléances ». Me soup-çonnent-ils de quelque chose ?
— J’étais dehors. J’y suis retournée juste après, pour… j’espérais que…
Des larmes montent à mes yeux, Callaway s’adoucit :
— Leur mort a été instantanée.
Je ne sais pas si c’est la vérité, mais je suis encline à le croire, vu les positions des corps quand je suis entrée dans le petit salon. Les images affluent et je les repousse, pas question de revivre ça.
— Votre robe a été retrouvée intacte sur les marches de l’escalier. Vous vous êtes changée en louve avant d’entrer dans le manoir ?
Son inflexion n’est pas vraiment interrogative, plutôt une demande de confirmation.
— Oui.
— De quoi vous souvenez-vous ?
— D’être entrée, d’avoir manqué d’étouffer, d’avoir vu… vu les… les corps.
J’étouffe un sanglot.
— Et ensuite ?
— Rien, je ne sais même pas comment je suis sortie de là.
— Il n’y avait personne d’autre ?
Tous deux me scrutent.
— Dans le manoir ? Pas que je sache, mais j’ai aperçu quelque chose, lorsque j’étais à l’extérieur.
Je leur explique, Callaway prend des notes au sujet de la silhouette que j’ai vue.
— Cette personne était donc partie avant l’explosion.
— Oui. Je n’ai vu personne après. J’ai dû sortir par moi-même avant de perdre connaissance dehors. C’était une explosion criminelle, alors ?
Ma voix tremble. Leadley me considère quelques secondes avant de répliquer :
— Oui. Criminelle et… magique.
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